Orthophonistes : comment bien accompagner les personnes âgées ?

Longtemps focalisée sur l’enfant, les orthophonistes doivent désormais faire face à un défi démographique : accompagner les personnes âgées. Prendre soin de la parole, de la mémoire, de la déglutition chez les seniors devient une nécessité de santé publique. Explications et bonnes pratiques.

 

On associe encore trop souvent l’orthophonie à une salle d’attente remplie de petits garçons dyslexiques et de fillettes à la prononciation approximative. Pourtant, la réalité est plus nuancée. En 2019, selon la DREES, environ 70 % des patients suivis par un orthophoniste ont moins de 20 ans, avec un pic entre 6 et 10 ans. Mais une autre tendance vient bouleverser ce paysage : le vieillissement rapide de la population française et européenne.

 

En France, les plus de 65 ans représentent plus de 20 % de la population. Et d’ici 2040, un Français sur quatre aura passé cet âge. Résultat ? Les pathologies liées à l’âge (troubles du langage post-AVC, déclin cognitif, troubles de la déglutition…) explosent. Et avec elles, la nécessité d’un accompagnement orthophonie adapté.

Adapter l’orthophonie au vieillissement : une méthode, des outils, un regard

 

Être orthophoniste auprès des personnes âgées ne consiste pas à faire les mêmes séances qu’avec des enfants, version « plus lente ». C’est un changement de paradigme : On travaille différemment, sur d’autres objectifs, avec une approche bien plus globale.

Chez nos amis les seniors, plusieurs domaines d’intervention orthophonie sont particulièrement sollicités : Les troubles du langage oral et écrit, suite à des pathologies neurologiques (AVC, Parkinson, démence de type Alzheimer…), les troubles de la déglutition (presbyphagie) qui sont fréquents chez les personnes âgées mais souvent négligés, pouvant entraîner des fausses routes, des pneumonies, voire la dénutrition, les troubles de la communication qui sont dus à des déficits auditifs, cognitifs ou à l’isolement social. 

Et bien évidemment, la perte des fonctions cognitives comme la mémoire, l’attention, la planification, le raisonnement. Des pertes qui peuvent être atténuées voire compensées par des exercices ciblés. 

Quels exercices mettre en place ?

 Tout d’abord, l’objectif de l’orthophoniste auprès des personnes âgées n’est pas la guérison totale, qui est souvent impossible. Les exercices orthophonistes permettent surtout de préserver l’autonomie fonctionnelle (pouvoir communiquer avec son entourage, passer un appel, faire ses courses), de maintenir les fonctions cognitives résiduelles à travers des activités de stimulation, de favoriser l’expression personnelle (notamment dans le cadre des soins palliatifs ou en institution), mais aussi d’assurer une alimentation orale sécurisée, en adaptant la prise alimentaire.

Pour ce qui est des exercices à faire, ils dépendent du patient que l’on a face à nous. Par exemple, pour un patient qui a été victime d’un AVC, il est conseillé de faire des exercices de récupération lexicales. Plus généralement, avec nos seniors, on vous conseille de travailler sur les automatismes. Mais également, sur les phrases sociales pour rétablir une capacité d’interaction minimale. Pour les patients non-verbaux ou très déclinants, on vous conseille d’utiliser la méthode CAA. 

Pour travailler sur la cognition des patients âgés, il est important de raccorder les exercices orthophonistes au quotidien de ces derniers. Autrement dit, vous pouvez travailler sur la stimulation de la mémoire de travail et épisodique avec des exercices inspirés de la vie quotidienne (faire une liste de courses, raconter une anecdote…), des jeux de type « Qui suis-je ?« , images à relier, catégorisation d’objets, pour maintenir le lien logique. Enfin, il est nécessaire de travailler sur la structuration de routines, repères spatiaux-temporels, travail sur la chronologie autobiographique.

Pour ce qui concerne la déglutition, en tant qu’orthophoniste, vous devez être en capacité d’évaluer le risque de fausses routes (tests de toux, essais de textures), de travailler sur le renforcement musculaire ciblé (langue, voile du palais) ou encore de proposer des conseils de posture, de découpage des repas, coordination avec l’équipe de soins (infirmiers, diététiciens).

L’orthophonie gériatrique : une spécialisation en plein essor

Pour travailler de façon optimale avec nos seniors et proposer des exercices les plus adaptés et optimaux, l’orthophonie gériatrique s’impose comme la méthodologie la plus optimale. En effet, celle-ci permet de disposer d’un champ de compétences qui s’étend rapidement et qui réclame des savoir-faire spécifiques. Travailler avec une personne âgée, c’est composer avec :la poly-pathologie (le patient est rarement suivi uniquement pour une aphasie isolée), la fatigabilité, les troubles sensoriels associés (vue, audition) mais également l’impact émotionnel du vieillissement (solitude, deuils, perte de repères).

Cette spécialisation implique une posture bienveillante, un travail de patience, de reformulation constante. De plus, cela demande une coordination avec les autres professionnels de santé : médecins, psychologues, ergothérapeutes, kinés, diététiciens, etc. Vous êtes les meilleurs des orthophonistes, nul doute que vous en avez toutes les compétences. 

Mais comment maîtriser l’orthophonie gériatrique sur le bout des doigts ? Si le diplôme d’État d’orthophonie (bac +5) comprend des bases en neurologie et en gériatrie, l’expertise spécifique en orthophonie gériatrique se développe surtout par des DU et des formations continues en neuropsychologie, déglutition, communication augmentée, démences, des stages ou des expériences en services de neurologie, soins palliatifs ou gériatrie hospitalière. Des initiatives se multiplient pour structurer la spécialité. En France, certains hôpitaux et réseaux de soins proposent des postes spécialisés en orthophonie gériatrique, notamment en hôpital de jour ou en EHPAD.

Un tournant à prendre collectivement

L’orthophonie a longtemps eu un visage jeune. Mais à l’heure du grand âge, elle doit devenir intergénérationnelle. Les besoins de nos ainés sont immenses. Ainsi, les orthophonistes sont en première ligne pour répondre à des enjeux de santé, de dignité et de lien social.

Accompagner les seniors, ce n’est pas seulement « faire des exercices plus simples ». C’est adapter les outils, le rythme, le langage. C’est s’engager dans une relation humaine profonde, qui ne vise pas la performance, mais la présence, la connexion. Et ça, c’est probablement l’un des rôles les plus précieux qu’un professionnel de santé puisse jouer aujourd’hui.