Zoom sur l’impact des écrans sur le langage des 0–6 ans
Introduction : Comprendre pour mieux accompagner les familles
Les écrans font aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire, partie du quotidien : télévision allumée pendant un repas en famille, tablette pour patienter au restaurant, téléphone dans la poussette, écrans publicitaires dans la rue ou les supermarchés… Chez les jeunes enfants, cette présence constante soulève de nombreuses questions sur leur développement et en particulier sur leur acquisition du langage.
Comment l’exposition aux écrans influence-t-elle la manière dont un enfant apprend à parler ? À partir de quel âge devient-elle réellement problématique ? Et surtout, comment les orthophonistes peuvent-ils aider les parents et les éducateurs à trouver le bon équilibre ?
Pourquoi les écrans influencent-ils autant le développement du langage ?
Comment l’exposition aux écrans modifie les interactions parent–enfant ?
Le langage se construit avant tout grâce à l’interaction. Un enfant apprend à parler en échangeant, en imitant, en observant les mimiques et les réactions des adultes qui l’entourent et l’élèvent. Or, face à un écran, ces échanges disparaissent ou se réduisent fortement.
Quand un parent consulte son téléphone pendant le repas ou qu’un tout-petit regarde un dessin animé seul, le temps de communication réelle se raccourcit. Cela peut paraître anodin, mais répété régulièrement, ce type de comportement engendre un manque d’interaction humaine directe et prive l’enfant d’occasions précieuses pour développer son langage, sa compréhension, son attention et son sens du social. À termes, cela peut donc avoir des conséquences sur ses capacités à s’intégrer socialement.
Autre élément clé : l’environnement sonore et visuel saturé. Le bruit de la télévision, les images rapides et les sons synthétiques sollicitent sans cesse le cerveau de l’enfant, en plein développement. Résultat : une surcharge cognitive, une attention dispersée et moins de disponibilité pour l’apprentissage du vocabulaire. Si on vous bombarde de sons et d’images saccadées, vous ne savez rapidement plus où donner de la tête. Simple.
Les études telles que celle conduite en 2020 en Ille-et-Vilaine montrent d’ailleurs que plus un jeune enfant est exposé tôt et longtemps aux écrans, plus le risque de trouble du langage augmente. Le lien entre exposition prolongée et retard d’apprentissage est donc désormais bien établi.
Ce que disent les études sur les effets du numérique avant 6 ans
En effet, de nombreuses études confirment que l’impact du numérique dépend de trois facteurs : le temps d’utilisation, le contenu et le contexte.
Ce que dit la recherche
L’étude menée par Santé publique France en 2020 dans le département d’Ille-et-Vilaine s’est penchée sur le lien entre exposition aux écrans et troubles primaires du langage chez les jeunes enfants.
Résultat : les enfants présentant un trouble du langage étaient significativement plus exposés aux écrans (durée quotidienne plus longue, usage passif, exposition avant 3 ans).
L’étude souligne également que le contexte d’exposition joue un rôle clé : les enfants qui utilisent les écrans sans interaction adulte sont les plus à risque de présenter un retard de langage. En revanche, lorsque les écrans sont utilisés de façon accompagnée, partagée et limitée dans le temps, leur impact négatif semble fortement atténué.
En résumé :
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Avant 2 ans, aucune activité sur écran ne favorise le développement du langage.
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Entre 3 et 6 ans, un usage encadré et partagé avec un adulte peut être toléré, à condition qu’il s’agisse d’un contenu éducatif et d’une interaction réelle autour de l’écran.
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En revanche, un usage passif (comme regarder une tablette ou la télévision seul) nuit clairement à la communication, à l’attention et à la vie sociale du jeune enfant.
Autrement dit : ce n’est pas seulement la présence de l’écran qui pose problème, mais la qualité du lien humain qui l’accompagne ou non. Ces données peuvent vous permettre de donner des repères concrets aux parents et de créer des partenariats avec les enseignants : « Si un enfant est exposé aux écrans dès le matin, sans interaction autour de ce qu’il voit, le risque de trouble du langage est multiplié par 6 ».
Le Ministère de l’éducation nationale a même tranché sur la question :
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pas d’écran le matin avant l’école,
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pas d’écran pendant les repas,
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pas d’écran dans la chambre,
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pas d’écran avant d’aller se coucher.
Ça a le mérite d’être clair.
À partir de quel âge et combien de temps un enfant peut-il utiliser un écran ?
Les recommandations officielles selon l’âge
Cinq ans après cette étude, les spécialistes du développement de l’enfant sont unanimes : avant 3 ans, zéro écran. L’exposition précoce empêche l’apprentissage naturel du langage, car le cerveau du jeune enfant a besoin de stimulations sensorielles réelles et d’interactions humaines pour se construire.
Entre 3 et 6 ans, les recommandations évoquent un maximum d’une heure par jour, toujours dans un cadre clair : les parents peuvent introduire très ponctuellement une tablette ou une télévision, mais uniquement en présence d’un adulte. Ce moment doit rester un échange bref, un jeu partagé, et non une activité de substitution. Le contenu doit être adapté, les pauses régulières et les autres activités physiques, sociales et créatives doivent primer sur le temps passé devant un écran.
Ces repères sont essentiels, mais ils ne remplacent pas le bon sens : si l’enfant montre des signes de fatigue, d’agitation ou de repli après un temps d’écran, il est important d’en parler et de modifier les routines.
Le rôle du parent est ici central pour ajuster l’utilisation selon le jour, le contexte et le besoin. C’est à vous, orthophoniste, de l’aider à ne pas céder face à un enfant demandeur, mais aussi à donner l’exemple : si un parent est en permanence sur son téléphone, comment expliquer à son enfant qu’il ne doit pas l’imiter ?
Les effets d’un usage excessif : troubles du langage, attention et socialisation
Si les recommandations se font de plus en plus alarmistes, c’est parce qu’un usage excessif des écrans peut entraîner plusieurs effets négatifs sur le développement des individus :
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Troubles du langage : retard d’apprentissage, vocabulaire restreint, difficultés de compréhension.
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Problèmes d’attention : difficulté à se concentrer sur une activité non numérique.
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Isolement social : moins d’échanges spontanés, perte d’intérêt pour le jeu ou les interactions avec les pairs.
Au-delà du langage, la santé globale du jeune enfant peut être affectée : fatigue visuelle, troubles de la vision, baisse d’activité physique, troubles du sommeil… Le lien entre environnement numérique bruyant et baisse de la qualité du sommeil a été avéré. L’impact est donc multiple, touchant autant la communication et l’interaction sociale que la vie quotidienne.
Comment les orthophonistes peuvent-ils accompagner les parents face aux écrans ?
Expliquer sans culpabiliser : parler de l’impact et proposer des alternatives
Face à un parent inquiet et à un enfant récalcitrant, vous avez un rôle de médiateur. L’objectif n’est pas de pointer du doigt les mauvaises habitudes passées, mais de communiquer de façon bienveillante et concrète pour en créer de meilleures.
Un enfant apprend mieux en parlant, en bougeant, en jouant et en explorant son environnement. Plutôt que d’interdire complètement les écrans, ce qui devient de plus en plus difficile si l’enfant y a été beaucoup exposé et au fur et à mesure qu’il grandit, il s’agit d’expliquer leur impact et de proposer des alternatives stimulantes.
Quelques exemples d’activités simples :
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Lire une histoire ensemble plutôt que regarder un dessin animé.
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Cuisiner à deux pour enrichir le langage (“on coupe, on mélange, on goûte”).
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Créer un “coin sans écran” à la maison pour favoriser les échanges.
Ces petites interactions quotidiennes renforcent le lien parent–enfant et soutiennent l’apprentissage naturel du langage. Le rôle de l’orthophoniste est d’aider les familles à retrouver du plaisir dans ces moments de communication réelle.
Ressources et stratégies concrètes pour réduire l’exposition
Pour accompagner les parents, il ne tient qu’à vous de concocter plusieurs outils qui pourront leur être utiles :
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préparez des affiches à placarder dans votre cabinet ou téléchargez le flyer « Bien grandir avec les écrans : des repères pour chaque âge »
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conseillez aux parents des applications éducatives à utiliser conjointement avec leur enfant : l’interaction reste la clé !
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proposez des routines équilibrées : par exemple, après un épisode de télévision, alterner avec une activité créative ou de plein air (dessin, jeu, balade…).
L’idée n’est pas d’exclure le numérique, car il a ses avantages éducatifs, mais de l’intégrer dans un environnement sain. En montrant aux parents que la communication passe avant tout par la vie réelle, vous jouez un rôle majeur dans la prévention des troubles du langage, la construction d’un lien familial fort et le développement de jeunes gens capables de s’intégrer sans difficulté à la société.
En conclusion : vers un usage raisonné et relationnel des écrans
Les écrans ne sont pas des ennemis, mais des outils dont l’utilisation doit être réfléchie. Chez les enfants de 0 à 6 ans, leur impact sur le langage est réel, surtout lorsqu’ils remplacent l’interaction humaine. Le développement du jeune enfant repose sur la communication, les échanges, le jeu et la présence bienveillante d’un adulte.
Accompagner les parents, c’est leur rappeler qu’un “temps sans écran” est souvent un “temps gagné” pour le langage, la santé et la vie de famille. Grâce à votre expertise d’orthophoniste, vous pouvez guider les familles vers un environnement numérique plus équilibré, où les écrans ne coupent pas la parole, mais la prolongent autrement.
