Combien gagne une orthophoniste libérale ? Mise à jour

Estimer le revenu d’une profession n’est pas chose simple quand on n’a pas accès aux chiffres nationaux du fisc. Mais on peut quand même tenter d’approcher la réponse à quelques questions, ne serait-ce que pour renseigner les jeunes qui envisagent ce métier :

  • Quelle est notre recette moyenne (le chiffre d’affaire : honoraires + primes) ?
  • Quel est notre revenu (le bénéfice : recette – dépenses pro) ?
  • Est-ce qu’on a enfin digéré 2020, annus horribilis ?
  • Sommes-nous très groupés autour des chiffres moyens, ou très répartis ?
  • Quel est le temps de travail moyen ? 
  • Sommes-nous mieux lotis que les autres paramédicaux conventionnés ?

Les données les plus fouillées ont toujours été celles de la FNAGA relayées par l’AGAO, l’association de gestion la plus utilisée par les orthophonistes. Les dernières concernent 2021: on n’a pas encore 2022 (et encore moins 2023 qui n’a pas encore été déclarée)

La FNO vient de publier des chiffres sur 2022, mais ils proviennent de la base de données de « l’Assurance maladie SNDS ». Or l’Assurance maladie ne connaît pas nos revenus issus des centres qui nous paient directement (IME, SESSAD, CMPP et certains EHPAD). La double prise en charge reste décidément une plaie : elle va jusqu’à fausser les statistiques.

Voici donc les derniers chiffres communiqués par l’AGAO et la FNAGA pour les orthophonistes (merci à Florence de me les avoir transmis) :

 

 

 

Petit bémol : ces données incluent les orthophonistes en exercice mixte (libéral + salarié), qui font forcément baisser les moyennes puisque leur salaire n’est par inclus dans le tableau. La FNO nous dit qu’ils sont 9 % des orthophonistes libéraux (cf l’Orthophoniste n°437, p.10). Les 91 % restants ont donc une moyenne plus haute, mais on ne la connaît pas.

Est-ce que la baisse de 2020 est oubliée ?

Quasiment. Voici le tableau de 2019 :

 

 

 

 

Comme vous le voyez, les chiffres de 2021 s’approchent de ceux de 2019.

Mieux : il est fort probable que nos recettes aient dépassé celles de 2019 sur la période récente grâce aux revalorisations de tarifs négociées par la FNO dans les avenants 19 et 20

Sommes-nous une profession homogène ?

Pas du tout.

 L’AGAO nous répartit en quatre tranches :

 

 

En luttant contre les dépenses pro (cf cet article) et en optimisant son lieu d’installation, il reste possible d’atteindre un revenu net de 60 000 € par an, soit 5 000 € par mois. Certains membres de la tranche 4 le font. C’est quand même très appréciable en France pour un bac +3 à 5.

Ça représente combien d’heures de travail par semaine ?

Regardons déjà combien d’actes hebdomadaires cela représente.

Les relevés d’activité de la sécu nous disent que nous tournons autour de 1 AMO 13 par acte, soit 33,80 € en métropole. Voici ce que ça donne avec 46 semaines de travail (5 semaines de vacances + quelques jours fériés hors vacances) :

La FNO dit qu’en 2022, nous avons tourné à 35 actes moyens par semaine (mais elle pense que nous prenons dix semaines de vacances). Elle donne aussi le nombre d’actes moyen de chaque mois de l’année. On y voit le gros impact des vacances scolaires sur notre activité.

35 actes de 30 minutes, ça fait un mi-temps en fait ?

La FNO dit que nous travaillons moins que les autres paramédicaux, mais elle ne va pas jusqu’à écrire que nous sommes à mi-temps. Ce serait royal, avec les deux mois et demi de vacances qu’elle nous prête.

Elle affirme que nous avons dix heures de travail non rémunéré par semaine. Il y a effectivement de quoi faire :

  • préparation des séances
  • contacts avec les autres intervenants
  • rédaction de comptes rendus et de notes d’évolution
  • comptabilité
  • paperasse : sécu, facturation des centres qui paient directement, gestion des impayés…
  • entretien du cabinet.
 

N’oublions pas non plus que les actes les mieux payés durent plus de 30 minutes, qu’il s’agisse des séances de neurologie (45 minutes sauf si le patient s’avère trop fatigable) ou des bilans.

En résumé : on ne connaît pas notre temps de travail moyen. Personnellement, j’ai culminé à 53 heures par semaine quand j’avais 90 à 95 actes prévus par semaine. Ca donne un ordre d’idée, mais c’est juste un exemple.

Comment nous situons-nous par rapport aux autres paramédicaux conventionnés ?

Dans son dernier bulletin, la Carpimko nous explique que nous sommes avant-derniers à présent, en matière de bénéfice : les orthoptistes nous ont dépassés.

Vous remarquerez que notre BNC 2021 ne coïncide pas parfaitement avec celui de l’AGAO
cité plus haut, mais qu’il en est assez proche.
 

Conclusion joyeuse

Bien sûr, tout irait mieux si nos tarifs avaient suivi l’inflation. Dans les années 70, ils augmentaient une ou deux fois pas an pour suivre l’inflation. Mais ils ont commencé à geler en 1983 avec le tournant de la rigueur du président Mitterrand. L’inflation a pu caracoler en tête, malgré quelques soubresauts de plus en plus espacés.

Il faut donc recevoir de plus en plus de patients pour maintenir un revenu constant. Cela peut pousser certains collègues vers le burn-out.

Ce n’est même pas une question de politique politicienne : tous les gouvernements nous ont laissés décrocher depuis 1983. La baisse du pouvoir d’achat, aggravée par l’appétit gargantuesque de la Carpimko, fait maintenant partie de notre identité professionnelle collective. Il en est de même pour les salaires de début de carrière des fonctionnaires… mais ensuite ils ont de l’avancement.

CELA DIT

Nous avons de beaux restes, après quarante ans de déclin :

  • un bénéfice moyen supérieur au revenu médian du pays
  • un revenu confortable dès le début de carrière, sans forcément avoir besoin de se tuer au travail
  • la possibilité de pousser vers les 5000 € par mois : aucun quota (nombre d’actes maximal) n’a été imposé par la sécu, même si c’était dans l’air dans les années 90 ; ce fut une grande victoire syndicale.
  • le libre choix de nos méthodes et de notre organisation.

Pourvu que ça dure ! Et merci à la FNO d’appuyer sur la pédale de frein depuis quarante ans pour ralentir notre décrochage de l’inflation.


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