Faut-il « faire des frais » ?

Les commerciaux, qu’ils soient dans la finance ou dans la vente de matériel, aiment nous dire qu’il faut « faire des frais ».

Évidemment, les frais professionnels ont un énorme avantage : ils sont déductibles.

Et comme le ras-le-bol fiscal est particulièrement répandu dans ce pays, les commerciaux espèrent nous mettre dans leur poche avec leur argument-massue.  

Acheter quelque chose en abaissant son impôt, son URSSAF et sa CARPIMKO, c’est tout de même tentant.

Imaginons que vous ayez un bénéfice de 30 000 € et que vous soyez dans la tranche marginale d’imposition à 30 %.

Si vous achetez un objet déductible à 100 €, vous obtenez une baisse des taxes suivantes :

  • Impôt sur le revenu : -30 €
  • Régime de base de la CARPIMKO : – 10,10 €
  • Régime complémentaire de la CARPIMKO : -3 €
  • Régime des praticiens conventionnés de la CARPIMKO : -0,16 €
  • CSG-CRDS : -9,70 €
  • Assurance maladie : -0,10 € si vous n’avez que du revenu conventionné
  • CURPS : -0,10 €

TOTAL : -53,16 €

Remarque : on pourrait affiner le calcul sur les années N+1 et N+2 : la baisse des charges sociales fera un peu remonter l’impôt sur le revenu. Mais sur l’année considérée, on est bien à -53,16 €.

Ce que vous avez acheté 100 € vous coûte donc 100 – 53,16 = 46,84 €.

Vous achetez quelque chose et vous baissez vos taxes de la moitié du prix !

Tentant, non ?

Vous pouvez souligner, voire exagérer votre ras-le-bol fiscal devant les commerciaux : ça leur donne l’occasion de compatir et de mettre la déduction en avant. Vous vous retrouvez ensemble face au percepteur. Embrassons-nous Folleville (euh… sauf en 2020), et défiscalisons la main dans la main !

Et là, c’est le drame, vous leur sortez le contre-argument :

« 46,84 €, c’est bien. Mais c’est quand même 46,84 € que je n’aurai pas pour moi, pour ma famille, pour nos loisirs ! »

Effectivement.

Faire des frais pour baisser ses impôts et ses charges sociales, c’est quand même réduire son train de vie perso, quelle que soit votre tranche d’imposition. Parce que vous ne serez jamais à 100 % de taxes.

Voilà pourquoi la phrase « Il faut faire des frais » est un sophisme. Un sophisme qui a la vie dure, mais un sophisme tout de même.

Alors bien sûr, je ne dis pas qu’il ne faut rien acheter pour le cabinet : il faut savoir investir dans le matériel et dans soi-même (en formations, en lectures, en congrès). Il faut fabriquer son bonheur professionnel. 

C’est une notion très variable selon les gens : certains collègues ressentent le besoin permanent de changer de matériel de rééducation, d’autres préfèrent le fabriquer, d’autres encore se sentent bien dans la routine.

Simplement, l’argument de la défiscalisation n’en est pas un. Nous travaillons pour gagner notre vie, donc le but reste d’avoir un revenu, in fine. Or, les frais pro rongent ce revenu.

Il reste deux arguments pour les frais pro, qu’on lit parfois sur les groupes Facebook. Analysons-les.

Faire des frais, ça peut permettre de descendre d’une tranche d’imposition.

Si vous êtes au début de la tranche à 30 %, vous pouvez effectivement descendre dans la tranche à 11 % grâce à des frais pro. Parce que vous abaissez votre bénéfice imposable.

Ma réponse : « Et alors ? »

Quand vous êtes au début de la tranche à 30 %, la majeure partie de vos revenus sont dans la tranche à 0 et dans la tranche à 11 %. Vous n’avez qu’une partie minime de vos revenus qui sont soumis aux 30 %. C’est le principe des tranches marginales.

La preuve : si vous gagnez 30 000 € et que vous êtes dans la tranche à 30 %, vous ne payez pas 9 000 € d’impôt sur le revenu. Vous en payez beaucoup moins que ça. Le fisc vous donne d’ailleurs votre taux moyen réel sur la page du prélèvement à la source, sur son site.

Donc si vous êtes au début d’une tranche et que vos frais vous ramènent dans la tranche du dessous, vous gagnez une misère en impôts. Et de toute manière, si vous faites quelques actes de plus, patatras, vous remontez dans la tranche du dessus.

Second argument, plus solide :

Faire des frais, ça peut permettre de bénéficier de prestations sociales.

En effet, la plupart des prestations sociales et des aides en tous genres sont soumises à conditions. Faire des frais, cela peut vous ramener sous un plafond qui vous aurait exclu(e) du dispositif d’aide.

Ce système généreux, solidaire et équitable a des effets pervers : il nous incite à gagner moins.

Mais si vous êtes à la limite, ça peut être un calcul à faire. C’est le seul cas où je trouve utile de faire des frais pour faire des frais.


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