Pendant des années, j’ai parlé de l’inflation comme d’un cancer insidieux qui rongeait l’orthophonie, en s’attaquant d’abord aux collègues des grandes villes et à ceux qui n’avaient pas la possibilité de travailler davantage pour compenser.
Jusqu’à l’an dernier, la hausse des prix nous ôtait 1 ou 2 % de pouvoir d’achat par an, sauf les rares années où les caisses proposaient une petite enveloppe à la FNO. Mais cette obole survenait juste deux fois par décennie. Les deux dernières fois, les avenants ont soigneusement évité l’AMO. Ils n’ont donc pas concerné tout le monde de la même manière.
L’an dernier, j’ai cherché à estimer (ici) notre érosion sans me limiter à celle de l’AMO : je suis arrivé à une fourchette de 13 à 25 % de perte entre 1983 et 2021.
Pendant ces années de cancer insidieux, nous nous rassurions en nous disant que nous n’étions pas les plus à plaindre, que c’était la triste évolution de l’ensemble de la population (ce qui était faux) et qu’il fallait être deux pour négocier. C’étaient les arguments les plus répandus sur les réseaux sociaux orthophoniques.
Bon an mal an, nous essuyions nos -1 à -2 % de pouvoir d’achat sans broncher. Nous ne nous apercevions du problème qu’en considérant de longues périodes. De toute manière, qu’aurions-nous pu faire ?
Et puis la vraie inflation est revenue.
Un exemple concret de répercussion sur nos vies : ce week-end, j’ai voulu savoir où en était le sac de 15 kg de granulés de bois. J’avais payé les derniers 4,50 € au milieu de l’hiver. Eh bien… Bricomarché m’annonce 5,90 €, soit une hausse de 31 %. Mais même à ce prix, la demande est si forte qu’ils n’en ont plus.
Que se passe-t-il ?
La hausse des prix a été amorcée l’an dernier par des pénuries de matières premières, des confinements en Asie, un réveil de la consommation après la pandémie et une politique très accommodante des banques centrales et des États.
Demande forte + pénurie = hausse des prix.
C’était logique. Et puis la guerre d’Ukraine a dopé le mouvement. C’est une inflation importée, avec une part d’anticipations spéculatives. Nous la devons essentiellement au prix des matières premières et de l’énergie. C’est ce qui fait qu’un citadin sans voiture, qui vit dans un bâtiment récent, se sent moins impacté qu’un rural qui loge dans une passoire thermique.
Même problème au cabinet, d’ailleurs. Nos tarifs sont un T-shirt à taille unique (le SMIC en est un autre), alors que nous ne subissons pas tous les mêmes contraintes.
Est-ce que cette tempête va durer ?
Les économistes ont mis beaucoup de temps à s’accorder sur l’existence-même du problème. A présent, certains voient venir un pic dans les mois qui viennent, suivi d’un maintien des prix à un plafond haut. D’autres disent que le cours des matières premières peut chuter subitement. C’est souvent arrivé. Le ministre des Finances, lui, dit qu’on sortira du pic à la fin de 2023.
Alphonse Allais disait : « Il ne faut jamais faire de projets, surtout en ce qui concerne l’avenir. »
Alors… nous verrons bien.
Ce qui est probable, c’est la suppression des boucliers français qui protègent tout le monde ; et leur remplacement par des dispositifs qui cibleront les Français les plus nécessiteux (NDLR : donc… pas nous). Ca coûtera moins cher, tout en permettant d’être plus généreux avec ceux qui en ont le plus besoin.
Les 18 centimes de baisse des taxes sur les carburants, notamment, devraient disparaître progressivement au quatrième trimestre. Concernant l’électricité (et le gaz), il arrivera un moment où les fournisseurs n’en pourront plus. Dans certains pays européens, les factures ont doublé. Ici, on force EDF à prendre les hausses dans son bilan sans les répercuter aux clients, alors qu’elle est déjà mal en point.
Pendant ce temps, les salaires indexés (donc proches du SMIC), les pensions de retraite et les minima sociaux vont suivre le mouvement.
Et les orthophonistes libéraux ?
Ça risque de picoter à l’automne, quand les aides larges seront supprimées.
Heureusement, ça coïncidera avec les premières hausses de tarifs de l’avenant 19, qui devraient survenir à la Toussaint. Les suivantes nous toucheront en juillet 2023. Et puis… ce seront 4 ans de vide, avant les négociations de 2027.
Il faut espérer que l’inflation revienne à 1 ou 2% dans un an. Finalement, un cancer à évolution lente, c’est mieux que la thrombose actuelle.
Que faire si nous passons plusieurs années entre 5 et 10 % ?
Plusieurs idées (voir aussi cet article) :
- Espérer que les caisses acceptent de remettre en cause leur mur du silence avant 2027. Je ne miserai pas là-dessus, sauf peut-être pour les médecins. Mais les auxiliaires médicaux resteront toujours la cinquième roue du carrosse.
- Espérer que l’URSSAF et la CARPIMKO réduisent leur facture pour compenser. Ne riez pas.
- Travailler plus pour gagner plus : il n’y a pas de plafond de rentabilité, mais juste un plafond de fatigue et un plafond de tolérance de nos proches.
- Orienter sa pratique vers les cotations hautes.
- Déménager dans une zone où tout est moins cher, pour se sentir mieux dans le T-shirt à taille unique.
- Devenir frugal(e), tant sur le plan perso que sur le plan pro : Slowortho vous y aidera.
- Comprimer tous les frais : assurances, abonnements en tous genres, AGA, comptable éventuel ; tenir un tableau pour surveiller leurs évolutions de tarifs.
- Formations : utiliser le DPC au maximum.
- Lutter contre l’absentéisme.
- S’associer pour partager les frais.
- Rouler à l’e85 ou à l’électricité. Je fais les deux.
- Utiliser au maximum l’économie collaborative. Il y a vraiment une mine d’or là-dedans.
- Acheter principalement des promotions et du déstockage. Ca fausse l’idée du vrai prix des choses, mais tant que l’AMO sera gelé, ce sera à faire. Quand je fais mes courses, je n’achète pas de la nourriture, j’achète des promotions avant tout. Ensuite on regarde comment en faire des plats. Et on stocke beaucoup, hors frais (ex : 6 kg de café le week-end dernier).
- Pour les achats technologiques : toujours commencer par Dealabs.
- Développer une activité secondaire, si possible indépendante du temps passé (c’est un peu ce que j’ai fait avec mes formations en streaming). Vous trouverez 63 idées d’activités dans cette vidéo d’André Dubois :
Il faudra aussi protéger son épargne de l’inflation. Ca mériterait un article entier. Mais voici quelques pistes glanées dans mes lectures depuis quelques semaines :
- L’immobilier est souvent cité parmi les boucliers anti-inflation, parce que les loyers sont indexés. Encore faut-il encaisser ces loyers… et en France, on change les indices quand les locataires commencent à tiquer. On peut donc imaginer que le gouvernement réduise la part de l’inflation dans l’indice de révision des loyers (IRL).
- Quant aux SCPI, elles dépendront d’une éventuelle récession, puisque c’est de l’immobilier professionnel. Avant d’acheter, il faut regarder comment elles ont traversé les crises de 1992 et de 2008. Attention aussi à la fiscalité !
- La bourse n’a pas encore atteint les niveaux planchers qui justifieraient des achats massifs, d’après ce que j’ai entendu et lu ce week-end. Et surtout, si vous y allez quand même, investissez de manière progressive, fractionnée, pour lisser votre cours d’achat.
- On n’a aucune visibilité sur les cryptos. Ca tangue fortement : le Bitcoin vient de passer sous les 20 000 €. Coinbase licencie 1100 employés.
- L’once d’or se porte mieux, comme toujours quand l’incertitude domine. Vous pouvez en acheter avec des ETF, notamment.
- Vous pouvez vous diversifier en achetant des ETF sur les matières premières, de la forêt-papier, des produits structurés.
- Gardez de l’argent immédiatement disponible pour profiter d’éventuelles bonnes affaires. « Cash is king », comme on dit dans la Silicon Valley.
Deux liens intéressants dans ce domaine :
https://outsmart.fr/video/comment-se-proteger-de-linflation/
https://avenuedesinvestisseurs.fr/inflation-comment-proteger-son-epargne/
Bien sûr, aucune des idées de cet article ne vaudra une indexation de l’AMO sur l’inflation.
Dans les années 1970, quand les prix prenaient 10 à 15 % par an, nos tarifs suivaient. Le décrochage a commencé en 1983. Quelques années plus tard, les caisses ont inventé les cinq ans de silence, puis le gel des lettres-clés. L’AMO est parti pour 15 ans à 2,50 €.
2022-2027 : nous avons devant nous cinq ans de méditation, loin du fracas. Mais dans le tracas.