Bon, je pense que vous l’avez remarqué : ce stoppage a ensuite été… stoppé. En octobre 1948, la IVe République a réinstauré le décalage d’un an entre le revenu et le paiement de l’impôt. Mais le prélèvement à la source s’est mué en serpent de mer, comme le tunnel sous la Manche.
Ces deux grands rêves de l’humanité auront fini par devenir réalité !
La source, c’est actuellement notre compte pro pour l’URSSAF et la CARPIMKO.En 2018, nous payons les cotisations URSSAF de 2018. Nous leur faisons des acomptes, qu’ils appellent « cotisation provisionnelle ». Le montant est estimé à partir du bénéfice de 2016. Le tout sera régularisé à l’automne 2019, suite à notre déclaration sur Net-Entreprises.
Le prélèvement à la source du fisc va fonctionner de la même manière. En 2019, il va prendre comme référence le bénéfice 2017 (puis celui de 2018 à partir de septembre), pour estimer 12 acomptes mensuels ou 4 acomptes trimestriels. Ce sera régularisé dans un sens ou dans l’autre à l’automne 2020. Amis des régularisations qui font peur, soyez heureux : en voici une de plus !
Notez que si vous percevez des revenus fonciers, ce sera exactement le même calendrier, tant pour l’impôt sur le revenu que pour les prélèvements sociaux.
Seconde remarque : si vous créez votre activité libérale en 2019 ou après, vous pourrez estimer vous-même votre bénéfice et verser des acomptes dès le début. Vous pourrez aussi choisir d’attendre le mois de septembre de l’année suivante pour tout régler en bloc.
Notre vie sera-t-elle simplifiée ?
Pas vraiment. Nous vivons en France, que diantre ! Ici, les chocs de simplifications sont aussi tangibles que le Graal.
L’Etat nous dit que le prélèvement à la source, c’est moderne parce que ça permet d’adapter l’impôt aux variations de revenus. C’est expliqué dans cette section du bulletin officiel. Nous pourrons simuler une modulation de nos acomptes et en faire la demande sur l’espace Particuliers du site impots.gouv.fr. C’est un dispositif particulièrement judicieux pour les consœurs enceintes, par exemple ; mais aussi pour ceux qui débutent et dont l’activité se développe à grande vitesse. C’est souvent le cas chez les médecins et les paramédicaux libéraux.
Pour augmenter vos acomptes, il n’y aura aucune condition préalable, bien entendu : l’Etat aime votre argent. Mais si vous voulez moduler à la baisse, il faudra que cela représente au moins 10 % ou 200 € de diminution de l’impôt annuel.
Le problème, c’est que si vous sous-estimez trop vos revenus, il y aura des pénalités.
Êtes-vous prêt à prendre le risque de vous tromper ?
Moi non. Si mes revenus baissent, j’attendrai sagement la fin de l’année suivante pour avoir une régularisation dans le bon sens. Et s’ils montent, je mettrai le surplus de côté pendant un an et demi, au lieu de le verser directement dans le tonneau des Danaïdes.
N’attendez pas non plus de modernisation en ce qui concerne vos déclarations.
Les 2035 et 2042 sont des dures à cuire. Vous continuerez à les remplir (seulement la 2042 si vous êtes en Micro-BNC).
Voilà pour le monde merveilleux qui nous attend le 1er janvier. Mais qu’en est-il de la période de transition ?
Y a-t-il vraiment une année blanche ?
Le concept d’année blanche paraît merveilleux, à tel point que beaucoup de gens n’y ont pas cru au départ. Vous verrez plus loin qu’ils n’avaient pas complètement tort.
Malheureusement, la formule c’est pas : CIMR = Impôt sur le revenu 2018.
Le fisc l’a martelé : les réductions et crédits d’impôts acquis au titre de 2018 resteront acquis. Mais tel que le projet était initialement ficelé, les acomptes de janvier à août 2019 ne devaient pas en tenir compte. Cela revenait à avancer de l’argent à l’Etat.
Les médias ont surtout parlé de la niche des frais de garde d’enfants, qui concerne beaucoup de gens. On pouvait craindre un retour massif du travail dissimulé.
- garde d’enfant de moins de 6 ans (crèche, centre aéré…)
- employé à domicile (femme de ménage, aide soignante…)
- investissement locatif (ex : dispositifs Pinel, Duflot, Scellier, investissement social)
- dons aux œuvres et aux personnes en difficulté
- dons à la recherche médicale
- dons aux associations cultuelles
- cotisations syndicales des salariés
- Le taux personnalisé normal : c’est celui que le fisc propose par défaut. D’ailleurs, la plupart des contribuables l’ont conservé. C’est le taux classique de prélèvement, appliqué indistinctement à tous les revenus du foyer fiscal (même si l’un de ses membres gagne beaucoup moins).
- Le taux neutre : c’est un moyen de se protéger du regard de son employeur. C’est un barème national (voir ici). Un patron n’a ainsi aucun moyen de savoir que son collaborateur a une femme orthophoniste qui travaille beaucoup, par exemple ; ou qu’il perçoit d’importants loyers. Si le taux neutre est trop bas (ce qui est probable, sinon à quoi bon), le fisc puisera le complément sur votre compte en banque.
- Le taux individualisé : cette dernière option est uniquement ouverte conjoints mariés ou pacsés. Elle permet à chacun de payer l’impôt en fonction de ses propres revenus. Mais le total sera le même qu’avec les autres taux, bien évidemment.
Si vous souhaitez aller plus loin avant de vous décider, Thibault Diringer a consacré un article très intéressant à ce sujet sur son site corrigetonimpot.fr.
Pourquoi l’Etat revient-il au prélèvement à la source, 70 ans après sa suppression ?
- Ce n’est pas une réforme fiscale. Elle change juste le mode de recouvrement.
- Elle n’est pas moderne, puisque nos arrière-grands-parents l’ont connue.
- Elle transforme les employeurs en receveurs des impôts, comme s’ils n’avaient que ça à faire. Ça leur coûte cher. Ça leur prend du temps. Un pays dont la compétitivité ressemble au Titanic peut-il se permettre de charger encore un peu plus la chaloupe des entreprises en tracasseries administratives ? J’ai récemment entendu un employeur, Laurent Vronski, dire qu’il avait autant besoin de cette réforme que de fourmis dans un sac de couchage.
- Le prélèvement à la source pénalise les jeunes et avantage les nouveaux retraités, en supprimant le décalage d’un an. Il y a des gagnants (qui votent) et des perdants (qui s’abstiennent beaucoup plus).
- On nous dit aussi que cette réforme nous aligne sur l’ensemble des pays modernes. Mais ils n’ont pas tous un impôt familial, qui transforme le prélèvement à la source en horrible usine à gaz. D’autre part, quand il s’agit d’effectuer les vraies réformes structurelles que les autres pays de l’OCDE ont mises en place depuis vingt ans, on ne trouve plus personne en France. Nous continuons à endetter nos enfants, tout en paupérisant les services publics. Nous nous moquons de ce qui a réussi ailleurs et en nous nous payons même le luxe de donner des leçons. Autrement dit, l’alignement sur nos voisins est encore un argument fallacieux.
Alors pourquoi l’avoir fait ? Nous entendons déjà parler des phases suivantes.
Mais voici le pire, pour les membres des classes moyennes et supérieures : le prélèvement à la source permet une fusion très facile de la CSG et de l’impôt sur le revenu.
Si c’est pour transformer le second en flat tax avec une assiette large, pourquoi pas. Mais les choses étant ce qu’elles sont dans ce pays, c’est plutôt la CSG qui deviendra progressive comme l’impôt sur le revenu. Beaucoup de gens ne la paieront plus, laissant le soin à une minorité de la régler à leur place. Forcément, vous figurerez parmi cette minorité.