Faut-il préparer ses vieux jours ?

Beaucoup de jeunes Français pensent qu’ils n’auront pas de retraite. La plupart de nos stagiaires en sont persuadées, ou voient ça de très loin. Pour elles, c’est surtout un privilège que l’on accorde aux générations nées jusqu’aux années 50. Et ensuite, tout partira en capilotade. Corollaire : elles finiront comme les fringants commerçants et artisans d’âge canonique mais encore actifs, dont raffole le JT de 13h de TF1. Le tout sera de conserver la santé jusque là. J’espère qu’elles mangent bio.

Avantage de cette idée, qui est peut-être la vôtre : paradoxalement, c’est un soulagement. Inutile de s’inquiéter pour les régimes de retraite. Partons du principe que nous payons juste pour les retraités actuels et que nous sortirons du cabinet les deux pieds devant. D’ici là, nous aurons travaillé de plus en plus pour compenser le gel de nos lettres-clés, avec des prises en charge de plus en plus lourdes qui auront absorbé notre élan vital, séance après séance. Version un peu plus joyeuse : nous trouverons une autre activité moins usante, qui nous permettra de durer. Le groupe Facebook « Orthophonie et reconversions » nous fournit déjà des pistes.

Évidemment, ce n’est pas le discours de ceux qui nous dirigent : ils disent qu’ils agissent pour pérenniser le modèle social généreux et solidaire que nous a légué le Conseil national de la Résistance, totem incontournable.

Alors qui a raison ? Pouvons-nous faire confiance à la CARPIMKO, qui se présente comme une institution sérieuse ? Si non, devons-nous travailler davantage pour épargner, afin de créer des revenus complémentaires ? Est-ce que le jeu en vaut la chandelle, au moins ? Comment mettre en place une retraite par capitalisation ? Faut-il s’en méfier ?

Je réfléchis à ces questions depuis mon installation en 1994, quand la glorieuse Armée française m’a rendu ma liberté. Voici donc l’état actuel de mes réflexions d’orthophoniste lambda, qui ont évolué au fil du temps. Dans ce premier article, j’analyserai le problème. Dans le suivant, je vous exposerai les solutions.
Commençons par la question de base qui ressemble aux « sondages » amusants du 12.45 de M6 (oui, j’ai une dent contre les JT français) :
La CARPIMKO est-elle un organisme digne de confiance ?

Je ne vous apprends rien : cette assurance obligatoire (et fière de l’être) vous ponctionne des sommes importantes. Il faut donc s’y intéresser, même si ce n’est pas votre grande passion. Vous avez sûrement remarqué que ses avis de prélèvements peuvent occasionner un sacré coup au moral. C’est aussi cette caisse qui vous assure l’hilarité, la pitié ou la commisération de vos interlocuteurs quand vous dites que vous avez 90 jours de carence en cas de maladie

Mais revenons à la retraite, et tentons de comprendre comment la CARPIMKO fonctionne. Rassurez-vous, je vais faire court.
La Caisse Autonome de Retraite et de Prévoyance des Infirmiers, Masseurs Kinésithérapeutes, pédicures-podologues, Orthophonistes et orthoptistes a été créée en 1948 (source : Wikipedia). Elle existait donc avant la reconnaissance officielle de certains métiers, dont l’orthophonie.
Au départ, elle ne comportait qu’un régime de retraite : le régime de base. Il est maintenant géré par la CNAVPL, qui s’occupe des vieux jours de la plupart des professions libérales. La CARPIMKO n’est que le percepteur, à présent. Ce régime fonctionne comme l’URSSAF, avec des cotisations provisionnelles et des régularisations l’année suivante. C’est donc lui qui peut faire exploser les cotisations en fin d’année. Notons qu’il surtaxe les bas revenus : il prend 10,1 % de vos 39 228 premiers euros, mais seulement 1,87 % de ce qui dépasse (avec un plafond à 196 140 €). Malheureusement, la frontière entre ces deux taux monte tous les ans. Elle suit l’évolution de l’AMO du plafond de la sécurité sociale.

En 1955, une seconde couche de protection a été ajoutée : le régime complémentaire. Celui-ci reste directement géré par la CARPIMKO. Il comporte une cotisation forfaitaire qui augmente de manière sidérante chaque année. Actuellement, elle est à 1536 € par an. Il vous prend aussi 3 % de tout ce qui dépasse 25246 €, avec un plafond à 166 046 €.

Vous aurez remarqué que les plafonds sont idéalement situés : ils sont hors d’atteinte pour l’écrasante majorité des paramédicaux !

Enfin, en 1962, le régime des praticiens conventionnés a été créé. On l’appelle aussi « avantage social vieillesse » (ASV) parce que la sécurité sociale participe fortement à nos cotisations. Oui, nous avons des avantages sociaux ! Ce régime commence par vous prendre 192 € forfaitaires par an. La sécu y ajoute 384 €. Vous versez aussi 0,16 % de votre bénéfice. L’assurance maladie abonde de 0,24 %.

Le principe de l’ASV ressemble un peu aux avantages que peuvent avoir les salariés avec les chèques vacances ou l’épargne salariale, quand leur patron ajoute un abondement bien agréable. Le problème, c’est qu’en 2008, ce régime a failli faire faillite. Une réforme a été mise en place dans l’urgence, divisant par deux la valeur du point et attribuant trois fois moins de points qu’avant, pour chaque euro cotisé. Le rendement a donc été divisé par six, comme ça, d’un coup.

Cette catastrophe de 2008 nous a prouvé qu’aucune confiance ne pouvait être accordée à la retraite par répartition. D’autant qu’elle ne lésait que les actifs : les points acquis avant 2008 sont restés à l’ancien montant de 2,60 €, contre 1,20 € en 2009. Les retraités n’ont donc pas vu baisser leur pension.
C’est d’ailleurs un principe général : la valeur des points des trois régimes augmente sans cesse, comme les cotisations, alors que les lettres clés des cotisants restent bloquées. Les actifs sont les vaches à lait inépuisables du système. Il y a deux ans, je vous montrais déjà (voir ici) que pour un revenu de 30 000 € annuels, la CARPIMKO vous prenait 5 465 €, alors qu’elle se serait contentée de 3 592 € en 1990, inflation incluse !
La CARPIMKO, c’est mieux que l’intégrale de Gad Elmaleh.
Nous avons affaire à une caisse qui respecte les principes sacrés du CNR, comme il se doit. Elle se drape dans la solidarité intergénérationnelle pour prendre toujours davantage à ses cotisants. Vous pourriez donc me rétorquer que c’est un mal pour un bien et qu’il suffit d’attendre ses vieux jours pour passer du bon côté de la CARPIMKO. Cela nous amène à nous poser la question suivante :
Combien toucherons-nous ?
Malheureusement, on ne peut pas dire que la CARPIMKO assure une retraite dorée à nos aînés, malgré les conditions nettement meilleures qu’ils ont connues : la pension brute moyenne des anciens orthophonistes s’élève à 915 € par mois, soit 831 à 846 € nets selon le taux de CSG appliqué (source : le dernier bulletin de la caisse). Il faut dire que nos anciens n’ont cotisé en moyenne que 23,76 ans, au lieu des 43 exigés pour une retraite à taux plein.
Mais justement, qu’en est-il du taux plein ?
A l’heure actuelle, si vous avez un bénéfice de 30 000 €, la CARPIMKO vous promet 378 € de retraite annuelle nette (source : mon appli pour iPhone, basée sur les montants communiqués par la caisse). Sur 43 ans de carrière avec ce même revenu, cela fait 16 254 €, soit 1 355 € par mois en euros constants. Cette fois, nous parlons bien de taux plein !
Bien évidemment, même si vous vous maintenez à 30 000 €, vous toucherez moins que cela : le rendement de la CARPIMKO baisse mécaniquement chaque année.
Facteur aggravant : les réformes, qui sont en fait des détériorations, se succèdent à un rythme amusant. Quand elles ne touchent pas la caisse, elles s’attaquent à la CSG ou à la création de nouvelles taxes (ex : la CASA, qui soulage les retraités de 0,3 % de leur pension). Nous n’avons donc aucune visibilité, d’autant que le gouvernement souhaite une réforme d’ensemble du système français. Vous pouvez lui donner votre opinion sur ce site. Il faut savoir que le pays dépense 14 % de son PIB dans la retraite, contre 10 % en moyenne dans le reste de l’OCDE. En outre, les Français passent en moyenne 5 ans de plus en retraite que la moyenne. Nous allons donc vers un endettement massif, ou vers des réformes d’ampleur qui n’épargneront pas la CARPIMKO.
Au final, les 1 355 € restent une promesse qui n’engage que ceux qui y croient.
En fait, nous n’avons aucune idée de ce que nous toucherons, sauf si nous sommes en fin de carrière (et encore…). Nous savons juste combien nos anciens touchent actuellement avec nos cotisations. Nous connaissons aussi les sommes qui partent vers les autres retraités français, au titre de la compensation entre les caisses. Je vois mal quel avantage indu nous devons « compenser », mais c’est comme ça depuis 1974. Les professions jeunes renflouent celles qui comportent plus de retraités.
La retraite par capitalisation est-elle une solution ?

En France, nous n’avons pas de fonds de pension à l’anglo-saxonne, parce que c’est le mal incarné, comme chacun sait. Les débats sur ce sujet ont été houleux dans les années 90. Plus personne n’ose en parler.

Mais au fil des décennies, les Français ont bien vu la dégradation de la retraite obligatoire. Ils ont pris peur et ont épargné massivement, dès qu’ils le pouvaient. L’assurance vie est devenue leur placement de long terme préféré, à côté de l’immobilier. En tant qu’indépendants, nous avons aussi accès aux contrats Madelin, véritables produits tunnels dont nous ne pouvons sortir qu’en rente. Il existe aussi les PERP, créés sur un principe similaire pour l’ensemble de la population. Tout cela va être remanié par la loi Pacte, qui arrive au Parlement.

Je détaillerai les différentes pistes d’épargne à long terme dans mon prochain article. Mais les plus pessimistes d’entre vous voient déjà la faille de tous ces dispositifs : pour qu’ils améliorent significativement notre future retraite, ils doivent comporter une part de risque. Et donc, on ne peut pas non plus leur accorder une confiance aveugle pour nos vieux jours. Les krachs boursiers, obligataires et immobiliers ne sont pas rares.

Rappelons aussi que pour dégager 1 000 € de rendement par mois, un placement peu risqué à 2 % doit avoir capitalisé 600 000 €. Autant dire que pour la plupart d’entre nous, cela reste inaccessible.

Alors sommes-nous condamnés à travailler jusqu’à ce que mort s’ensuive ?

On pourrait le penser, puisque la retraite par répartition n’est pas fiable et que la capitalisation l’est encore moins. Malgré tout, si nous n’avons aucun pouvoir sur l’évolution de la CARPIMKO, nous pouvons décider de travailler suffisamment pour épargner, en nous fixant des objectifs et en utilisant des effets de levier. L’Etat nous y incite lui-même, en proposant une pléthore de niches fiscales visant à flécher notre effort vers les domaines qui l’intéressent (ex : le cinéma, les entreprises innovantes, l’Outre-Mer, les PME, l’immobilier locatif dans les zones à forte demande, etc.).

La CARPIMKO n’est finalement qu’un petit socle sur lequel nous pouvons bâtir à notre guise. Quand notre caisse de retraite préférée achète des actions, elle ne nous demande pas notre avis. Son patrimoine est constitué à 40 % d’actions et à 45 % d’obligations, que vous le vouliez ou nous. Mais sur la partie capitalisation, nous sommes libres. C’est un privilège que nous avons, par rapport aux salariés : nous pouvons décider de travailler suffisamment pour dégager une capacité d’épargne, puis la répartir à notre guise. Cela peut s’avérer passionnant. Et surtout, cela augmente nos chances de pouvoir arrêter de travailler, le jour où nous en aurons assez.
Ce sera l’objet du prochain article : quel éventail avons-nous à notre disposition ? Comment défricher son propre chemin dans cette jungle ? Comment s’y prendre pour sortir des placements sans risque et sans rendement, même quand on n’y connaît rien ? Comment éviter de se mettre à la merci de locataires indélicats mais protégés par la loi ? Il existe des solutions à l’ensemble de ces questions.


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